La prévision n’est pas une technique, c’est un art !

Cette année, j’ai repris des études en formation continue : le Master 2 Supply Chain Internationale de l’Université Paris-Dauphine.

Après chaque semaine de cours, je vous partage mes réflexions.

MASTER 2 SUPPLY CHAIN INTERNATIONALE - SEMAINE CINQ

“La prévision n’est pas une technique, c’est un art !”. Après deux jours intensifs consacrés à la prévision des ventes et à l’économétrie, cette phrase de notre professeur me reste dans la tête.

Je parlerais plus d’un artisanat où le prévisionniste, tel un tailleur de pierre, va travailler la donnée brute pour en extraire une prévision de ce que pourrait être la demande future. Dans son atelier, se côtoient des modèles statistiques et d’économétrie et de rutilants algorithmes de machine learning tout juste déballés. 

A chaque étape, il va minutieusement sélectionner un modèle, doser les paramètres et transformer la donnée. Guidé par son expérience et son savoir-faire, petit à petit, il construit une prévision cohérente; son interprétation, respectueuse des données historiques et du contexte de l’organisation. 

Personne ne connaît l’avenir. C’est pourquoi le prévisionniste ne travaille pas seul. La détermination de la demande future est avant tout une décision. Et cette décision va impacter toute la planification de l’organisation. Production, distribution, achats, ressources humaines et bien entendu finances; 

Chaque discipline a pour objectif premier de répondre à la demande. Prévoir ce que sera cette demande dans le futur est un arbitrage entre plusieurs scénarios, un consensus à rechercher. 

Réflexion 1 : Prévision de la demande : single source of truth

Avec cette deuxième année de pandémie de COVID-19, les organisations sont confrontées à une question impossible : comment élaborer les prochaines prévisions de la demande ?

Depuis mars 2020, les organisations ont réagi dans l’urgence, adaptant l’outil de production, les ressources et les niveaux de stocks au fur et à mesure des annonces gouvernementales. Chaque service a ressorti ses fichiers Excel pour élaborer ses propres prévisions en se basant sur son appréciation de la situation. 

Après deux années de navigation à vue, le besoin de se projeter à plus long terme devient criant. Mais comment réconcilier les approches empiriques de chaque service pour revenir à une vision unifiée de la demande à l’échelle de l’organisation ?

La détermination de la demande future ne devrait pas être une activité isolée, occasionnelle réalisée par un service dédié. Il s’agit avant tout d’un processus de décision. Le travail du prévisionniste n’est qu’un élément qui, associé à la stratégie de l’organisation, va permettre aux dirigeants de valider le scénario qui a le plus de chances de se réaliser.

Le processus S&OP couvre cet objectif. A chaque service ensuite de décliner la prévision validée pour réaliser ses propres estimations. C’est donc une démarche Top-Down qui doit prévaloir dès lors que la demande est une contrainte première dans l’élaboration de la prévision.

Le bon sens voudrait que l’on considère les années de pandémie comme des années blanches. Mais peut-on vraiment repartir comme avant ? La prochaine table ronde organisée par le Master Supply Chain Internationale « La Supply Chain pendant et après Covid-19 » devrait nous apporter des premiers éléments de réponse.

Réflexion 2 : Corrélation n’est pas causalité

L’économétrie est une technique très puissante pour élaborer des prévisions. Encore faut-il des facteurs explicatifs. Qu’à cela ne tienne répondent les tenants de l’IA et du Machine Learning. Donnez-moi des data et je vous trouverais ces fameux facteurs explicatifs.

Comme cette entreprise qui a découvert qu’elle devait installer ses nouveaux magasins à proximité des laveries automatiques pour maximiser leur rentabilité. Clive Granger doit se retourner dans sa tombe ! “Si on ne l’imagine pas, il ne faut pas le prendre en compte”. C’est la limite à ne pas franchir nous explique notre professeur.

N’y a-t-il pas une approche intermédiaire à expérimenter ? Comment s’assurer de ne pas passer à côté d’une corrélation forte qui permettent d’affiner les prévisions ?  

La puissance de l’IA peut nous permettre d’identifier des corrélations cachées. Les décideurs ont ensuite la responsabilité de faire le tri. Corrélation n’est pas causalité. Une fois encore, le S&OP apparaît comme le bon processus pour traiter cette question. 

En confrontant les résultats des analyses explicatives à la réalité du terrain et à la stratégie de l’entreprise, il peut permettre d’établir un consensus sur le choix des facteurs explicatifs à étudier dans l’élaboration de la prévision de la demande.

Les candidats retenus sont ensuite testés longuement dans le respect de la méthode scientifique avant de gagner leur place de facteurs explicatifs pour le calcul de la prévision de la demande.

Malheureusement, pour aller dans cette direction, nos décideurs doivent d’une part prendre le temps et d’autre part comprendre comment fonctionnent les boîtes noires des algorithmes de de l’IA. C’est loin d’être gagné !

Réflexion 3 : Les data en grande quantité sont toxiques

En une petite dizaine d’années, nous sommes passés d’une période ou la data était rare et chère à la période actuelle de surabondance et de saturation. L’indigestion nous guette !

Dans son livre “la fin de l’individu”, Gaspard Koenig rapporte son échange avec Nassim Nicholas Taleb. L’IA ne l'intéresse guère : un épiphénomène dans une série d’innovations qui n’ont pas passé l’épreuve du temps. La collecte frénétique de data, loin de stabiliser la connaissance, la rend extrêmement volatile. Elle génère du “bruit”, une masse d’informations trop importante qui brouille la précision du signal. Les data en grande quantité sont toxiques.

Comprendre les données avant de les utiliser. Apprendre à ignorer “le bruit”. Identifier à l’inverse les signaux faibles. Toutes les décisions de l’entreprise sont prises sur une estimation de ce que sera la demande future. Personne n’est en mesure de savoir exactement ce qu’elle sera. Les prévisionnistes le savent bien. “Prévoir, c’est se tromper mais de manière admissible”. 

En cette période d’explosion de l’offre de data, chaque entreprise doit s’atteler à trier les données, à choisir celles qui ont une réelle valeur ajoutée. Ce travail de simplification est le préalable à toute construction d’une prévision de la demande qui puisse résister aux aléas de la réalité. 

“L’optimisation s’oppose au perfectionnement ! Celle-là est effectuée au regard précis d’un objectif ; celui-ci suppose une adaptation perpétuelle aux circonstances, dont la finalité reste indéfinissable. 
Un monde scrupuleusement soumis à la logique de l’IA serait irrémédiablement entropique, tendant vers une forme de stabilité glacée. répétition des échanges, immutabilité des métiers…”

- Gaspard Koenig, La fin de l’individu

Merci de votre lecture. J'aurais l’occasion de revenir sur l’utilisation des algorithmes d’Intelligence Artificielle dans la Supply Chain, mais j'aimerais avoir votre avis. Qu'est-ce que j'ai oublié ? Et où dois-je chercher pour trouver d'autres réponses ?

N'hésitez pas à m'envoyer vos commentaires. conseils ou expériences.